Liberation, August 26, 2008
«Rester signifiait qu'il fallait prendre les armes contre mes compatriotes»
Merab, 48 ans, a fui, avec sa femme et son fils, les bombardements par les Russes de la ville de Gori. Il est actuellement réfugié, avec une vingtaine d'autres familles, dans une crèche du village de Dzegvi, à vingt kilomètres de Tbilissi.
«Quand la guerre a commencé, tout le monde me connaissait, personne ne m'a chassé. Mais j'ai décidé de partir car rester signifiait qu'il fallait prendre les armes et tirer sur des Géorgiens. Je suis d'abord allé chez mon oncle à Eredvi, un village géorgien près de Tskhinvali : là, on a défendu le village mais on ne combattait pas vraiment. Puis, nous sommes allés à Gori. Nous étions logés avec d'autres réfugiés dans la cité universitaire. Nous étions cent familles, tous très à l'étroit.
On a tout perdu en un jour. Une de mes soeurs est réfugiée ici, à Dzegvi, avec moi ; une autre habite dans un village près de Gori, avec ses enfants. Je ne veux pas dire le nom du village, les Russes sont là-bas. Pour l'instant, ils ne touchent personne mais on a très peur. Tout le monde se connaît, les Ossètes savent tout, qui est géorgien, qui est ossète, qui a fait quoi par le passé. Ces jours-ci, ils viennent dans les villages et brûlent les maisons de ceux qui ont fait la guerre en 1991. Ils viennent se venger.
Mais il faut dire quand même que tous les Ossètes ne sont pas pareils. Ceux qui cohabitaient encore avec des Géorgiens après la guerre étaient plus conciliants. Par contre, ceux de Tskhinvali et des villages des hauteurs ont été beaucoup aidés par la Russie ces dernières années, ils recevaient des bonnes retraites. Ça compte beaucoup. Ils nous disaient : "Vous, les Géorgiens, vous n'avez rien, qu'est-ce que vous pouvez nous donner ?"
Aujourd'hui, nous sommes réfugiés une nouvelle fois. Encore maintenant, je rêve de ma première maison à Tskhinvali. Nous étions partis de là-bas il y a dix-sept ans, et maintenant nous avons dû quitter notre deuxième maison de Gori. Nous avions réussi à refaire une vie, j'avais beaucoup d'amis, un travail. Cela ne s'est pas fait en un jour. J'ai 48 ans, à cet âge-là, normalement, en Géorgie, on est grand-père. Mais je ne me suis marié qu'il y a huit ans, je n'avais pas eu le temps d'y penser avant. A la limite, peu m'importe de savoir où je vais vivre. Maintenant, ma vie, c'est mon fils. Il a 7 ans. Il est né à Gori, mais il n'a pas de vrais repères, il est né réfugié. Quand il me demande quelle est son adresse, je lui dis seulement que c'est la Géorgie.
Tout ça, c'est la faute de la grande politique. Avant, on vivait bien ensemble, j'avais des amis Ossètes. On fêtait les noces, les enterrements ensemble, on se mariait entre nous. C'est vrai qu'à partir de la perestroïka, les Ossètes ont commencé à avoir des ambitions nationalistes. Les Russes, qui les aidaient en cachette, ont tout compliqué. Il y avait de l'argent, des armes qui passaient la frontière. Tout a empiré quand Zviad Gamsakhourdia, le premier président géorgien, est arrivé au pouvoir, en 1990.
Mais les Ossètes l'ont mal compris, ils se sont servis de ses slogans, par exemple "La Géorgie aux Géorgiens", comme un prétexte pour se séparer de nous. On sentait que tôt ou tard, quelque chose allait arriver.»
Thursday, November 27, 2008
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