L'élection d'Obama donne un coup de vieux à la politique française
LE MONDE Mis à jour le 06.11.08 | 14h21
L'effet de souffle provoqué par l'élection du nouveau président américain Barack Obama a brusquement donné un coup de vieux au système politique français. Diversité du personnel politique, renouvellement générationnel, attractivité des partis, façon de faire campagne : sur ces thèmes, les faiblesses françaises sont en débat, notamment à gauche.
La diversité. "Au PS, parmi ceux qui célèbrent le succès de Barack Obama, beaucoup soutenaient Hillary Clinton au début des primaires, au prétexte que pour battre un républicain il fallait voter utile", rappelle Fayçal Douhane, membre du Conseil national du Parti socialiste. "C'est ce même argument qui nous a été opposé lors de la préparation des dernières élections législatives et municipales : "Les Français ne sont pas prêts à voter pour un Arabe ou un Noir"", regrette-t-il. Selon Malek Boutih, chargé des questions de société au PS et ancien responsable de SOS-Racisme, les cadres politiques ont usé de "l'idée du repli sur les identités, du choc des cultures et de la fragmentation des sociétés" comme d'un prétexte "pour ne pas bouger". Pour le PS, présenter des candidats de la diversité "relève encore du supplément d'âme", non d'un investissement politique, assure-t-il. Et, en France, "les politiques continuent à penser que le décalage entre la population de Seine-Saint-Denis et les élus est inévitable. L'élection d'Obama prouve que c'est faux."
Serait-ce trop tôt ? Aux Etats-Unis, la montée progressive des élites noires au pouvoir s'est faite à partir des grandes lois civiques de 1975, en commençant par les grandes villes, telles que Los Angeles ou Chicago. "En France, il n'y a pas encore de maire noir d'une grande ville", souligne Denis Lacorne, directeur de recherches au Centre d'études et de recherches internationales (CERI). Si les choses commencent à bouger dans les conseils municipaux, "l'ouverture aux minorités se fait encore largement par nomination, et non par élection", explique M. Lacorne : l'ouverture sarkozyste s'est ainsi faite sur le modèle de Georges Bush, avec la secrétaire d'Etat Condolezza Rice.
Le poids de l'héritage colonial sur les représentations politiques françaises est en cause, affirment les responsables de l'extrême gauche française. "On paie vingt-cinq ans de discours raciste depuis l'émergence du Front national", assure Pierre-François Grond, bras droit d'Olivier Bensancenot à la LCR. "En 1983, avec la marche des beurs, puis en 1988 lors de la marche contre les crimes de l'esclavage, la gauche n'a pas compris les attentes d'égalité et de reconnaissance et n'a construit aucun message politique", ajoute Stéphane Coloneaux, porte-parole du PCF.
Mais Barack Obama n'est pas le seul produit de l'acceptation progressive des minorités par la société américaine. Il a eu aussi, souligne le chercheur Denis Lacorne, "une progression au mérite. Il n'est d'ailleurs pas un militant de la discrimination positive". L'argument est repris à l'UMP par son secrétaire général, Patrick Devedjian, pour qui la victoire d'Obama est une incitation à ceux qui se sentent pénalisés par une origine étrangère récente : "Il ne tient qu'à eux de prendre leur place dans la société, même si c'est objectivement plus difficile."
Le renouvellement. Le faible renouvellement générationnel des partis français contredit cet enthousiasme. "Les partis ne sont pas à la recherche de nouvelles forces ou de nouveaux talents, car cela induirait une compétition dont ils ne veulent pas", assène Dogad Dogoui, membre de l'UMP et président fondateur d'Africagora, un club d'entrepreneurs engagés dans la promotion de la diversité. Séduit par la discrimination positive prônée par Nicolas Sarkozy, ce cadre regrette que ce ne soient pas les militants qui élisent et sélectionnent leurs candidats. "Le militant qui se fait remarquer par ses idées est prié de faire des notes et de se mettre au sevice d'une écurie. Comme cela n'est pas valorisant, les gens s'investissent hors des partis, dans des think tanks." La politique en France est "une profession", déplorent aussi bien Dogad Dogoui qu'Olivier Besancenot. La génération en place s'accroche à ses prérogatives. "Le renouvellement ne se fait que dans les structures internes aux partis" et ne débouche pas dans la représentation nationale, constate Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts.
La leçon des primaires. Elle est à méditer, surtout pour le PS, souligne Malek Boutih : "Selon les critères classiques, Obama n'avait aucune chance, mais par le biais des primaires les électeurs démocrates ont démontré qu'ils souhaitaient changer de profil. Du coup, sa candidature entrait totalement en résonnance avec l'idée du rêve américain selon laquelle chacun peut avoir sa chance."
L'UMP a prévu d'investir la secrétaire d'Etat aux droits de l'homme Rama Yade comme tête de liste en Ile-de-France aux élections européennes de 2009. Le parti, précise M. Devedjian, "a conscience de la nécessité de susciter des vocations sur le terrain". L'UMP veut investir les quartiers populaires, en créant des permanences là où il n'a obtenu que 30 % des voix au second tour de l'élection présidentielle. "Nous sommes en train de donner des responsabilités à des habitants des quartiers, qu'ils soient de couleur ou non", promet-il.
La campagne. Des forums participatifs sur le Net aux milliers de volontaires du porte-à-porte qui ont sillonné les Etats-Unis, l'énorme machinerie du "movement" lancé par Barak Obama pour battre campagne a aussi secoué les politiques français. "Sa campagne s'est inscrite aux antipodes de la conception traditionnelle, technocratique et gestionnaire", commente Sophie Bouchet-Petersen, proche collaboratrice de Ségolène Royal. "Quitte à essuyer un procès en incompétence, il a d'abord avancé une vision, un récit du possible qui a donné du sens, ajoute-t-elle, et ce n'est qu'ensuite qu'il en a proposé une déclinaison programmatique." A l'UMP, M. Devedjian lorgne sur le trésor des démocrates : l'engagement de campagne des citoyens, "le lien sans carte".
Service France
Article paru dans l'édition du 07.11.08
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