Saturday, November 8, 2008

Racial Stereotypes in French Textbooks

Des manuels encore un peu trop blancs
LE MONDE | 06.11.08 | 11h42 • Mis à jour le 06.11.08 | 12h46


Une femme voilée pour illustrer la Turquie, une main rachitique pour symboliser l'Afrique… Sans attendre que Barack Obama fasse son entrée dans les livres d'histoire des écoliers français, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) publie, jeudi 6 novembre, une grande enquête sur la place des stéréotypes et des discriminations dans les manuels scolaires.

Pas moins de 29 ouvrages et 3 097 illustrations ont été passés au crible par une équipe de chercheurs de l'université Paul-Verlaine de Metz. Le constat n'est pas accablant. Premier relatif satisfecit : les minorités visibles… sont visibles. 10% des illustrations représentent "un personnage principal de couleur", dont un peu plus de la moitié un personnage "pouvant être perçu comme étant originaire d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient". Ensuite, parce que les clichés racistes hérités de la période coloniale ont disparu. Le discours antiraciste y est présent. Les discriminations à l'égard des minorités visibles sont davantage dénoncées que celles à l'encontre d'autres groupes tels que les femmes, les handicapés, les seniors ou les homosexuels, également étudiés par l'enquête.

Toutefois, certains stéréotypes ont encore la vie dure. D'abord, note la Halde, certaines minorités sont manifestement plus mises en valeur que d'autres. Ensuite, les manuels de géographie en particulier, dans les chapitres sur l'Afrique et le Maghreb, mettent l'accent sur la pauvreté sans que soient par ailleurs représentées des situations positives de modernité pourtant présentes dans les pays étudiés.

Les personnes noires sont particulièrement stigmatisées. Les illustrations où elles apparaissent, tant en géographie, en sciences de la vie et de la terre qu'en éducation civique, renforcent encore souvent le stéréotype de l'Africain non seulement pauvre, mais aussi malade. Dans les manuels d'histoire, la présence des personnes noires, fortement liée à la question de l'esclavage et à celle de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, amène certains élèves à considérer que "pour les Français, Noir égale esclave". Autant de représentations qui, selon les auteurs, contribuent à entretenir "une vision inégalitaire entre Noirs et Blancs en faisant appel à un registre émotionnellement inutile". Bref, le "sanglot de l'homme blanc" n'est jamais bien loin.

Les auteurs ne préconisent évidemment pas de taire la vérité sur les faits, comme l'esclavage ou la famine. "Cependant, insistent-ils, les contenus susceptibles de produire des identifications négatives doivent être absolument relativisés." A quand la photo d'un cybercafé en plein milieu d'un quartier populaire à Tunis ou à Bamako ou d'un agriculteur africain consultant les cours des matières premières sur son ordinateur? "Les minorités visibles apparaissent davantage comme des personnages de débats portés par les manuels que des personnages de manuels au même titre que les autres", résume un enseignant d'anglais.

Au-delà des illustrations, le choix des exemples, ou des prénoms dans les exercices, y compris de mathématiques, n'est pas anodin. Chez Hatier (manuel de 5e), une petite fille réussit-elle son exercice de géométrie? Normal, elle porte un prénom "bien français". Sa camarade de classe se trompe? Pas de chance, elle s'appelle Samira. "Ce type d'exercice peut renforcer le stéréotype de l'élève maghrébin ou noir en situation d'échec scolaire ou éveiller un sentiment de discrimination", notent les auteurs de l'étude, alertés eux-mêmes par des élèves de 5e.

Le lien qui est fait avec les appartenances religieuses, et en particulier l'islam, tend aussi à entretenir une discrimination. Pourquoi Nathan (manuel d'histoire-géographie de terminale) illustre-t-il l'islam avec une mosquée située hors du territoire national, et le catholicisme avec la cathédrale de Chartres? Forcément, un tel choix ne peut que renforcer l'idée que l'islam est une religion étrangère à la France. Surtout que le texte évoque "la crise des vocations" mais jamais "l'évolution de la pratique religieuse".

De même, recourir à la symbolique du voile, notamment du niqab, dans une illustration évoquant le refus de l'Union européenne d'intégrer la Turquie est pour le moins périlleux. Certes, ce choix peut avoir pour but de faire réagir les élèves et d'être discuté en classe mais, relèvent les auteurs de l'étude, "il risque surtout de renforcer le stéréotype selon lequel le port du voile justifie toutes les formes de rejet et d'exclusion".

Il y a une autre façon d'exclure. Ne pas montrer. En sciences de la vie et de la terre, les corps noirs sont particulièrement peu représentés. Dans un autre registre, l'origine étrangère d'une célébrité, comme Picasso, n'est pas systématiquement évoquée.

Dans ses recommandations, la Halde reconnaît que "les stéréotypes sont peu fréquents mais ils existent, d'autant plus que la fréquence n'enlève rien à l'effet qu'ils peuvent produire chez celui ou celle qui en est victime". Jugeant le bilan "mitigé", elle recommande surtout aux éditeurs de ne pas se contenter de "représenter correctement deux ou trois minorités visibles, en ignorant les autres".

Ce premier principe établi, la Halde recommande d'éviter les stéréotypes véhiculés par des représentations exagérément choquantes, "sans pour autant dissimuler le rapport à la vérité des faits". Comment? En procédant par contraste ou contre-stéréotype. Les auteurs délivrent un satisfecit à Magnard pour avoir illustré un de ses ouvrages d'histoire-géographie avec "un berger massaï au milieu de son troupeau, souriant et plutôt bien portant, téléphone portable à la main". En revanche, c'est le même éditeur qui publie (dans un autre ouvrage) la main famélique. "Un même manuel peut contenir des contre-stéréotypes pertinents, mais également des stéréotypes que nous condamnons", déplorent les chercheurs.

Les manuels de français doivent aussi s'ouvrir davantage à la diversité culturelle. "L'identité française qu'ils véhiculent au travers de la littérature, et de l'intitulé de leur discipline, ne doit pas laisser de côté les minorités visibles qui constituent la société civile", relève la Halde.

Parallèlement à cette réflexion, la Halde estime qu'un débat et des recherches mériteraient d'être engagés sur l'enseignement de la religion en France, notamment sur la représentation de l'islam et des musulmans dans les manuels scolaires. Mais la Halde ne se fait guère d'illusions. "La meilleure volonté des éditeurs ne suffira pas à faire réellement évoluer certains manuels, si les programmes ne les aident pas à introduire davantage les minorités visibles dans le respect de l'évitement des stéréotypes."

Laetitia van Eeckhout