En banlieue, la volonté est forte de "taper à la porte de la République"
LE MONDE | 06.11.08 | 14h21
L'onde de choc de l'élection de Barack Obama, mardi 4 novembre, a touché les banlieues françaises de plein fouet. De l'émotion. De la joie. La fierté d'être noir ou maghrébin. Et la volonté décuplée, parmi les trentenaires des cités, de faire naître des Obama français d'ici quinze ou vingt ans. Que les élites françaises le veuillent ou pas.
"Les jeunes de la diversité vont aller taper à la porte de la République, s'extasie Dawari Horsfall, 33 ans, formateur, ancien directeur de centre social, originaire de Massy (Essonne). Jusque-là, on leur disait que ce n'était pas possible, qu'on ne pouvait pas leur laisser la place. Demain, on pourra aller voir les hommes politiques et leur dire : regardez, ils l'ont fait aux Etats-Unis."
Comme dans une douzaine d'autres villes de la banlieue parisienne, M. Horsfall avait conduit une liste "indépendante" lors des municipales de mars 2007. Pour s'affranchir de la tutelle des partis. Pour que les "grands frères" ne soient plus dépendants des "grands pères" blancs. Pour faire comme aux Etats-Unis et commencer par conquérir la scène politique depuis la base, les mairies, avant de s'intéresser au sommet.
A Massy, la liste a obtenu près de 10 % des voix. A Grigny (Essonne), elle a dépassé 26 %. A Goussainville (Val-d'Oise), 14 %. "On ne veut plus subir la politique", résume Almamy Kanouté, 29 ans, leader d'une liste indépendante à Fresnes (Val-de-Marne), qui a recueilli 11 % des voix au premier tour.
SORTIR DU PATERNALISME DES PARTIS
L'élection d'Obama agit comme un dopant. "C'est une bouffée d'oxygène pour les quartiers. Tout le monde se dit : si lui a réussi, moi aussi je peux y arriver", explique Driss Ait Youssef, 28 ans, responsable associatif, membre d'une liste de jeunes des quartiers à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) qui avait recueilli 10 % des suffrages, face à la municipalité communiste. "C'est quelque chose de très positif qui se ressentira en France. Dans l'inconscient des gens, cela crée un précédent. Comme en droit, cela fait jurisprudence", souligne Omar Dawson, 29 ans, à l'origine d'une liste qui a obtenu cinq élus sur Grigny.
L'émergence de candidats aux plus hautes fonctions issus de la diversité ou des quartiers n'est toutefois pas pour demain. Faute de réseaux suffisants. Faute de personnalités en situation d'atteindre la dernière marche.
"On a commencé le travail. Mais c'est pas nous qui allons en bénéficier. Peut-être dans quinze ou vingt ans", ajoute Diaby Doucouré, 31 ans, élu au conseil municipal de Pantin (Seine-Saint-Denis) contre la liste socialiste sortante. Mais des élites intermédiaires, fortement diplômées, existent déjà et entendent sortir du paternalisme traditionnel des partis, notamment du PS. "On est gonflés à bloc. On sait que c'est possible et, la prochaine fois, on revient pour gagner", souligne M. Horsfall.
En arrière-plan, ressort la problématique de la "banalisation" de ceux que l'on continue de décrire comme "issus de l'immigration" bien qu'ils soient parfois en France depuis deux ou trois générations. "Le jour où on parlera de nous en termes d'Afro-Européens, comme on parle des Afro-Américains, ce sera un signe fort. Mais, pour l'instant, la France est très en retard", note M. Kanouté.
Un retard qui s'observe aussi dans la capacité des minorités visibles et des banlieues à s'organiser pour porter une parole commune. "C'est une humiliation que subit la France en voyant les Etats-Unis nous donner une leçon et nous faire passer pour des ringards. Mais une fois qu'on a dit ça, qu'est-ce qu'on fait ?, interroge le comédien Yassine Belattar, qui joue un rôle informel de coordination et de liaison entre leaders des quartiers. Sur un plan politique, la question n'est plus celle de la légitimité mais celle du leadership : qui pour nous représenter ?"
Luc Bronner
Article paru dans l'édition du 07.11.08
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