Vague bleue sur le Parlement européen
Incapable d'incarner une alternative dans la crise, la gauche subit une lourde défaite dans la plupart des pays
La crise économique a profité à la droite. C'est le principal paradoxe de cette élection européenne : dans le contexte d'une récession sans précédent et de la mise en procès du libéralisme, on aurait attendu de la gauche qu'elle sache saisir l'opportunité qui lui était donnée de reprendre la main et de faire endosser à ses adversaires, partisans de la dérégulation et du laisser-faire, la responsabilité du marasme.
Elle n'en a rien fait. Le nouveau Parlement européen est emporté par une " vague bleue " de droite semblable à celle qui, en 2004, avait supplanté la " vague rose " de gauche. Les conservateurs qui dirigent déjà une vingtaine de pays devancent nettement leurs adversaires socialistes ou sociaux-démocrates. Les trois gouvernements socialistes survivants de l'Union européenne (UE) subissent une défaite : le Labour britannique est laminé à l'image des déboires subis par le premier ministre Gordon Brown (15,3 %, selon les résultats encore partiels), le parti socialiste de l'Espagnol José Luis Rodriguez Zapatero est battu (de 4 points), celui du Portugais José Socrates fait face à une déroute inattendue.
Les conservateurs triomphent presque partout. Les unions démocrates chrétiennes (CDU-CSU) du gouvernement d'Angela Merkel arrivent largement en tête (37,9 %). Dans les dix pays de l'ancien bloc communistes, entrés dans l'UE en 2004 et 2007, la droite prend la main. La Hongrie en offre l'exemple le plus spectaculaire avec la gifle infligée au Parti socialiste au pouvoir par le Fidesz, le parti conservateur nationaliste de Viktor Orban, qui emporte 56 % des suffrages.
Dans ce paysage sinistré, la Grèce et la Slovaquie sont l'exception qui confirme la règle. En Grèce, l'opposition du Pasok (parti socialiste grec) a triomphé du gouvernement de Costas Caramanlis, en difficulté depuis le mouvement étudiant de l'hiver. En Slovaquie, le parti SMER du premier ministre, Robert Fico, domine.
La défaite de la gauche tient d'abord à l'habileté des gouvernements de droite, qui ont vite désamorcé les reproches contre la dérégulation conduite depuis les années 1990 : dans l'urgence, ils ont dénoncé les paradis fiscaux, annonce leur volonté de réguler les marchés, nationalisé des banques, fait des plans de relance et augmenté les déficits, bref, pris les oripeaux de la gauche en la laissant à court d'arguments. " Le centre-droit a essayé (...) de trouver des solutions aux problèmes urgents, même si elles n'ont pas toujours été parfaites, dit au Monde Joseph Daul, président du groupe Parti populaire européen (PPE). Cela nous a permis de mener campagne dans les pays où nous sommes au gouvernement sans être battus. "
La défaite de la gauche tient aussi à elle-même et à sa propre pusillanimité : elle n'a pas su présenter de front uni face à la droite. Une partie des siens, ceux qui étaient au pouvoir, a soutenu pour le reconduire à la tête de la Commission le candidat du groupe conservateur de centre-droit, l'homme du " moins légiférer ", le très libéral José Manuel Barroso. De quoi apporter confusion et scepticisme chez des électeurs ne voyant dans la gauche qu'un acolyte de la droite. " Cela aurait permis de rendre le choix politique plus clair ", reconnaît, fataliste, dans un entretien au Monde, l'un des candidats non déclarés : Poul Nyrup Rasmussen, président du Parti socialiste européen (PSE).
Le deuxième paradoxe du scrutin est l'abstention massive, globalement en légère progression par rapport à 2004. Rien de surprenant : depuis trente ans que le Parlement européen est élu au suffrage universel, la participation des électeurs n'a cessé de baisser. Le phénomène n'en est pas moins paradoxal : l'institution est ignorée par les électeurs alors même qu'elle est l'instance européenne la plus démocratique, que ses prérogatives s'accroissent et que le traité de Lisbonne, s'il est ratifié, devrait lui conférer davantage de pouvoirs encore. L'abstention chronique gâche l'acquis démocratique du Parlement et risque de miner sa capacité à peser face à la Commission et au Conseil.
Si le rôle du Parlement européen reste confus et si peu visible, les dirigeants politiques en ont une part de responsabilité. Les campagnes électorales n'ont vraiment eu lieu que dans les pays où était organisé un scrutin local le 7 juin (Royaume-Uni, Italie, Belgique...). Partout, elles ont été mornes et les débats européens supplantés par des controverses strictement nationales. L'élection européenne était vécue comme le premier tour, sans grand enjeu, d'une échéance intérieure plus lointaine : en Allemagne, au Portugal ou en Hongrie.
Les électeurs, qui n'ont pas été indifférents, l'ont parfois exprimé par un vote de rejet catégorique de l'Union européenne. Aux Pays-Bas, au Danemark, en Finlande, en Autriche, en Hongrie, des listes populistes de droite radicalement europhobes ont fait des percées atteignant 15 % à 20 % des suffrages. En Italie, la Ligue du nord, antieuropéenne et xénophobe, se porte encore mieux que le Peuple de la liberté de Silvio Berlusconi dont elle est l'alliée. Au Royaume-Uni, terre d'élection de l'europhobie, la déconfiture du Labour a propulsé le groupe de conservateurs désirant rompre avec l'Union européenne : le UKIP est arrivé deuxième. Quant au BNP, parti de l'extrême droite nationaliste, il entre à Strasbourg en emportant deux sièges.
Cécile Chambraud et Marion Van Renterghem
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besoin de verifier:)
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