Sarkozy et les patrons : une histoire de cœur
Article publié le 30.08.07
Le président de la République, invité jeudi 30 août à l'université d'été du Medef, éprouve sympathie et admiration pour les entrepreneurs, nombreux parmi ses amis. Il se voit en manager de la France.
Nicolas Sarkozy dirige la France comme un patron dirige une entreprise, c'est pour ça qu'il plaît aux chefs d'entreprise", assure François Henrot, associé gérant de la banque d'affaires Rothschild. "Il n'a peur ni des patrons ni de l'argent, à la différence des politiques de ce pays", ajoute ce proche du chef de l'Etat.
Si les patrons l'apprécient, c'est aussi parce qu'il vit avec eux. Après avoir quitté le ministère de l'intérieur pour préparer la campagne présidentielle, il a vécu deux mois, villa de Montmorency, dans la très chic propriété parisienne de son ami Dominique Desseigne, patron du groupe Barrière (hôtels et casinos).
En guise de remerciement, le 6 mai, M. Sarkozy passe sa première soirée en tant que président de la République… au Fouquet's, hôtel de luxe du groupe Barrière.
"C'est ce soir-là, rapporte un témoin, que Vincent Bolloré [dirigeant d'un groupe de communication et de transport] a proposé à Cécilia qu'ils prennent son avion et son bateau puisqu'elle semblait peu désireuse d'aller en Corse."
De quoi susciter l'ire de Martin Bouygues, qui a été témoin au mariage de Nicolas et Cécilia, de même que Bernard Arnault, patron du groupe LVMH. Rivalités d'entourage.
Depuis la tentative avortée de prise de contrôle inamicale du groupe Bouygues par M. Bolloré, en 1997, M. Bouygues voue à ce dernier une haine si tenace qu'il a refusé d'assister au mariage de sa propre nièce avec le fils Bolloré.
Ses mandats de maire de Neuilly (Hauts-de-Seine), de 1983 à 2002, ont fait de M. Sarkozy l'interlocuteur de nombreuses fortunes françaises. Quand il ne fait pas du vélo avec les Decaux, il croise Liliane Bettencourt, actionnaire de L'Oréal, résidente des beaux quartiers de l'Ouest parisien.
"Il partage avec eux, explique Jacques Creyssel, le numéro deux du Medef, une culture du résultat faite d'objectifs et de moyens pour y parvenir, et montre une vraie admiration envers ceux qui ont construit quelque chose individuellement."
M. Sarkozy aime évoquer sa fascination pour "les entrepreneurs qui ont réussi à la force du poignet". Même si ceux dont il est proche ne sont pas tous des autodidactes.
Ses liens avec l'héritier Bouygues sont anciens. Présent à ses côtés lors de ses traversées du désert, Martin Bouygues est le parrain de son fils Louis, et il sait que son avis sera pris en compte par le nouveau président.
L'avenir dira si sa proximité avec celui qui fut, un temps, son avocat, aidera le dirigeant du groupe Bouygues à diversifier ses activités vers le nucléaire dans la perspective de la privatisation partielle d'Areva.
Il a suffi d'un coup de téléphone de M. Sarkozy à M. Bouygues pour que Laurent Solly, directeur adjoint de sa campagne présidentielle, soit nommé à la direction générale de TF1.
"Il a un rapport admiratif mais aussi consumériste avec les patrons, il peut les bousculer et les provoquer", nuance Stéphane Richard, ancien patron de Veolia Transport, nommé directeur de cabinet de la ministre des finances, Christine Lagarde, à la demande de l'Elysée.
Ainsi, au plus fort de l'affrontement entre les deux frères ennemis Bernard Arnault et François Pinault, la neutralité de M. Sarkozy lui avait valu une fâcherie avec M. Arnault.
Dans la famille Lagardère, autant le père, Jean-Luc, pouvait jouer un rôle de conseiller auprès de M. Sarkozy, notamment en orchestrant les retrouvailles avec Dominique de Villepin, autant son fils, Arnaud, semble tenu à distance.
Devant les journalistes, à La Baule, en 2005, en marge d'une rencontre avec M. de Villepin, alors nouveau premier ministre, M. Sarkozy lâche, au sujet d'Arnaud, dont l'un des titres du groupe Lagardère a fait la "une" sur ses malheurs conjugaux, "soit c'est un traître, soit il ne tient pas son groupe".
Arnaud Lagardère déclarera, en juin 2006, dans un entretien au Monde sur le dossier EADS qu'entre "passer pour quelqu'un de malhonnête ou d'incompétent […], j'assume cette deuxième version".
S'il s'est montré au QG du candidat UMP, rue d'Enghien, pendant la campagne et s'il aime voir "Nicolas comme un frère", M. Lagardère n'était pas invité au Fouquet's. "Il sait, néanmoins, que Sarkozy le protégera", tempère l'un de ses avocats.
Plus que tout, l'attirance pour les patrons paraît résider chez M. Sarkozy dans l'idée de réussite individuelle. A tel point qu'il répète souvent qu'il n'est pas un idéologue et que l'individu prévaut sur les idées.
La remise de la Légion d'honneur, en février 2007, à Stéphane Richard, ex-conseiller de Dominique Strauss-Kahn, ayant fait fortune dans l'immobilier avant de diriger Veolia Transport, fut à ce titre exemplaire.
Dans son discours, il s'attarda longuement sur les signes de richesse, dont l'appartement de M. Richard pour finir en lançant : "Toi, tu as fait fortune, la mienne viendra peut-être un jour", devant 200 personnes médusées.
"C'EST UN PHÉNOMÈNE DE MIROIR"
M.Sarkozy n'a jamais caché, non plus, qu'il reconnaissait des qualités à Anne Lauvergeon, ex-conseillère de François Mitterrand, présidente du groupe nucléaire français Areva. "C'est un phénomène de miroir, estime un conseiller de Mme Lauvergeon, deux fortes déterminations qui se reconnaissent." Elle refusera le poste de ministre qu'il lui proposera avant même son arrivée à l'Elysée.
De même, il a noué des liens avec les patrons dits "blairistes", à vocation sociale-libérale, comme Michel-Edouard Leclerc, défenseur inattendu de la TVA sociale, ou Franck Riboud, PDG de Danone, héritier d'une lignée qui s'est longtemps présentée comme proche de la gauche.
En retour, l'énergie de M. Sarkozy séduit nombre de patrons, y compris les plus roués, tels les financiers octogénaires Albert Frère et Paul Desmarais senior, icônes du capitalisme français. Pourtant, le premier est belge et le second est canadien. Ils sont les premiers actionnaires identifiés des plus grands groupes français, Total, Suez, Lafarge.
Le couple Sarkozy a ainsi été invité à passer le réveillon 2004 dans la propriété canadienne des Desmarais, si vaste qu'on la parcourt en hélicoptère. M. Frère, qui investit avec M. Arnault, et M. Desmarais, proche de M. Bouygues, savent qu'il est toujours bon pour les affaires de tutoyer un chef d'Etat membre du G8.
M. Frère a d'ailleurs rejoint le Fouquet's le 6 mai au soir, à bord de son jet privé, en provenance de Marrakech. M. Desmarais, déjà à Paris, n'a eu qu'à attendre son acolyte sur le lieu des agapes.
"Ils cherchent le pouvoir d'influence", concède un banquier de Lazard. "Mais, ajoute-t-il, ils ont aussi une affection pour Sarkozy, il n'y a qu'à entendre les trémolos dans la voix d'un autre papy, véritable parrain de la finance, Antoine Bernheim."
Président des assurances Generali, M. Bernheim est l'un des banquiers d'affaires les plus influents des vingt-cinq dernières années auquel nombre de grands patrons, dont Vincent Bolloré ou Bernard Arnault, doivent certains de leurs succès.
"Sarkozy n'est pas le libéral que l'on croit", plaide Eric Besson, ex-député PS transfuge nommé secrétaire d'Etat à la prospective du gouvernement, proche de Jean-Marie Messier qui l'avait chargé de la Fondation Vivendi.
"Il est de ceux, poursuit M.Besson, qui pensent que les multinationales ont une âme, il peut imposer aux patrons des choses qui les feraient fuir si la gauche en parlait, notamment sur les stock-options ou les parachutes dorés."
Jacques Follorou
Thursday, September 6, 2007
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