Monday, September 17, 2007

Judges Hate Sarkozy

Affaires classées ou étouffées ?
La colère des juges

Par Florence Aubenas

A l'heure de la tolérance zéro, Sarkozy prône le laxisme à l'égard des entreprises. Sa volonté de
dépénaliser le droit des affaires suscite la grogne dans la magistrature

Nouvelle Observateur No 2235 du 6 au 12 Septembre 2007, p 78


C'est devant les chefs d'entreprise du Medef, la semaine dernière, que la révélation a eu lieu : Nicolas Sarkozy> champion de la «tolérance zéro», a annoncé qu'une catégorie de justiciables au moins méritait d'urgence la mansuétude. Et devinez qui sont ces malheureux pour qui la loi se révélerait soudain trop dure alors qu'elle ne l'est jamais assez pour personne, ni les malades mentaux qui devront comparaître en audience, ni les mineurs désormais susceptibles d'être sanctionnés comme des adultes, ni les jeunes dans les halls d'immeuble ? Ce sont les chefs d'entreprise ! «Comment rendre aux Français le goût d'entreprendre si la moindre erreur de gestion peut vous conduire en prison ? s'est-il lamenté. Comment faire un calcul économique quand on ne sait pas ce qu'on peut raisonnablement attendre des juges, quand tout acte de commerce peut faire l'objet d'un contentieux à l'issue imprévisible »Bref, il faut «dépénali ser le droit des affaires». La chancellerie s'est attelée en urgence à réparer cette intolérable injustice. «L'objectif est d'aider et de moderniser la vie des entreprises, dit Guillaume Didier, porte-parole. Nous ne savons pas encore le détail, ni si cela concernera les abus de biens sociaux.» Les deux principaux syndicats de magistrats, le SM (gauche) et l'USM (majoritaire), ont déjà protesté.

ERIC DE MONTGOLFIER : «JE CRAINS UN DESEQUILIBRE»
Je ne voudrais pas être magistrat dans un système qui s'en prend aux uns et pas aux autres, «tolérance zéro» pour les uns et «de pénalisation» pour les autres. Je crains qu'un déséquilibre ne soit en train d'émerger.



Dépénaliser le droit des affaires, qu'est-ce que ça veut dire ? Que l'autorité judiciaire ne peut pas se pencher sur le comportement déviant des chefs d'entreprise ? Ni sur la corruption ? Beaucoup de dossiers politico-financiers, et à vrai dire presque tous ceux que j'ai ouverts, ne seraient pas sortis dans ce cas. Depuis des années - et je ne parle pas ici de droite et de gauche- on se rend compte que les organismes de lutte anticorruption tombent peu à peu en déshérence, les chambres régionales des comptes ne jouent plus le rôle qu'elles avaient. La brigade financière de Nice comptait deux commissaires, elle n'en a plus qu'un. De fait, on a aujourd'hui moins de possibilités pour traiter ces dossiers-là.
Dans le même temps, on se rend compte qu'il y a une affluence préoccupante de lois, il est fait appel à la répression et à l'intervention des magistrats dans un nombre de secteurs de plus en plus étendus. Je suis partisan de la dépénalisation en général, il faut faire appel à la citoyenneté et pas à la répression, mais alors ce grand nettoyage des textes doit se faire de manière complète et dans tous les domaines. La justice ne peut être juste que si la loi est juste, lorsque l'équilibre global de la répression est respecté sans qu'il paraisse privilégier les uns plus que les autres.

DENIS SALAS : «LES REPONSES INSTITUTIONNELLES N'INTERESSENT PAS SARKOZY»
Devant les chefs d'entreprise du Medef, Nicolas Sarkozy s'inscrit au fond dans le même registre que lorsqu'il reçoit les parents d'un enfant abusé par un pédophile ou lorsqu'il va à l'enterrement d'un policier victime de son devoir. Depuis qu'il est élu, il cherche à habiter des moments d'effervescence et de communion où la société met sa propre cohésion à l'épreuve. Ce président ne représente pas, il incarne. Il ne se place pas au-dessus de la mêlée mais dedans. Il ignore l'ambivalence. Son discours ne choisit pas le point de vue de la gestion rationnelle de la cité. Moins politique que pré-politique, il se place dans le champ de l'imaginaire, du sacré, de l'inconscient collectif. Son récit fonctionne toujours avec les mêmes ressorts, ceux d'une sorte de conte avec ses personnages, monstres et victimes, où le «nous» se construit par rapport aux «autres». Il décrit la lutte du Bien contre le Mal, de la communion (entre «nous ») et du sacrifice (celui des «au tres ») dans un paysage aux couleurs tranchées. Les gens aiment qu'on leur raconte une histoire. Qu'on la repousse ou qu'on y adhère, elle fascine. Suivant les situations, les frontières de l'interdit se déplacent dans le discours du président : devant les parents de victimes, il déclare que les fous les tribunaux. Une semaine plus tard, au Medef, il décrète qu'un procès pénal serait en revanche trop cruel pour les chefs d'entreprise. Il construit ce «nous» avec les patrons qui «rendent aux Français le goût du risque». Les «autres» sont les juges qui «livrent une guerre sans merci» aux entrepreneurs et les empêchent «par tous les moyens de réussir». Les réponses institutionnelles n'intéressent pas Sarkozy. Son atout est moins l'efficacité que sa capacité à réenchanter le politique.

Florence Aubenas
Le Nouvel Observateur

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