Le Monde: Article paru dans l'édition du 16.07.09
Liée à l'alcoolisme et aux mauvaises conditions de vie et de santé, la surmortalité masculine atteint des sommets
Faire de la Russie le pays « le plus attrayant du monde en termes de qualité de vie n'est ni absurde ni fabuleux », expliquait récemment le vice-premier ministre Igor Chouvalov. Certes. Mais engagée, ces huit dernières années, sur la voie de la prospérité, hantée par la restauration de sa puissance sur la scène internationale, la Fédération russe doit pour cela relever un défi majeur : sa démographie déclinante.
Dans la plupart des pays industrialisés, la mortalité baisse et l'espérance de vie augmente. Pas en Russie. La natalité, comme dans de nombreux pays d'Europe, est faible (1,4 enfant par femme en 2007, 1,2 en 2006), mais la mortalité est particulièrement élevée, surtout chez les hommes.
« Un homme sur trois meurt entre 20 et 60 ans. Si nous ne venons pas à bout de ce problème, la population va décroître encore plus vite », explique Anatoli Vychnevski. A la tête de l'institut de démographie de Moscou, ce chercheur vient de signer une étude intitulée « Les enjeux de la crise démographique en Russie » qui a été publiée, en juin, par l'Institut français des relations internationales (IFRI). Les hommes russes ont aujourd'hui une espérance de vie de 61,4 ans (73 ans pour les femmes) alors qu'elle était de 63,8 ans dans les années 1960 (75 ans dans les pays développés).
Cette surmortalité masculine s'explique par la situation socio-économique défavorable. Mais les mauvaises habitudes - alcoolisme, tabagisme, alimentation inadaptée - comptent pour beaucoup dans cette dégringolade qui place l'espérance de vie des hommes russes en deçà d'un pays pauvre comme le Bangladesh.
Par ailleurs, les moyens alloués à la protection de la santé sont insuffisants. En 2007, la Russie y a consacré 4,2 % de son produit intérieur brut contre 8 à 10 % en moyenne dans les pays occidentaux. Il en découle un solde négatif et une baisse durable de la population, passée de 148,9 millions d'habitants au début de 1993, à 141,9 millions en avril 2009, selon le comité d'Etat aux statistiques (Rosstat).
Contrairement à une idée reçue, cette crise démographique n'a pas débuté avec la difficile transition économique et politique des années 1990. « Le pays ne participe plus à la baisse générale de la mortalité depuis plus de quarante ans », souligne l'étude. D'autres facteurs négatifs - vieillissement, modification de la répartition par tranches d'âges - vouent la démographie russe à un déclin durable. Cette perspective contredit l'ambition affichée par le Kremlin de hisser la Russie au rang des premières puissances économiques mondiales.
Conscientes du problème - « le plus grave du pays », avait déclaré Vladimir Poutine en mai 2006 -, les autorités ont tenté d'encourager les femmes russes à procréer. Les allocations familiales ont doublé, une « prime de maternité » de 325 000 roubles (environ 7 386 euros) est proposée à la naissance du deuxième enfant.
Cette politique a payé. Au premier trimestre, la natalité a augmenté de 4 % par rapport à la même période en 2008. « Malheureusement, cette croissance est temporaire, le «calendrier» des naissances change, mais l'essentiel, la fécondité des femmes, n'augmente pas. Et les générations de femmes elles-mêmes sont numériquement faibles », indique Anatoli Vychnevski.
Pour le chercheur, il est impossible « à court et à moyen termes d'inverser les tendances ». Seule une « politique réaliste » pourra changer la donne. Le recours à l'immigration pourrait compenser le décroissement naturel.
Mais l'hostilité tenace de la population à l'égard des migrants et l'absence de consensus sur ce sujet font obstacle. « Dans les consciences populaires domine l'idée simpliste que la démographie est facile à redresser. Plusieurs politiques encouragent cette vision », déplore Anatoli Vychnevski.
Dans sa « conception de la politique démographique », élaborée en 2007, le gouvernement prévoit une espérance de vie de 75 ans « pour les deux sexes ». Une perspective qui semble utopiste comparée au scénario médian dessiné par Rosstat en 2008. La Russie va perdre en dix-sept ans (de 2008 à 2025) 11 millions de personnes. Les prévisions de l'agence gouvernementale des statistiques font froid dans le dos : 463 000 en 2010 ; 600 000 en 2017 ; 800 000 en 2025.
Marie Jégo
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