Public-privé, des ratés en série, par Virginie Malingre
LE MONDE | 09.02.09 | 13h46 • Mis à jour le 09.02.09 | 13h46
Uu jobcenter de mon quartier, quand j'ai rempli le dossier pour obtenir un "national insurance number", nécessaire pour des formalités administratives qui n'ont pas besoin d'être détaillées ici, l'employé chargé de mon cas a décidé que je cherchais "activement un travail". "Vous travaillez à la maison, votre employeur est en France. C'est compliqué. Après tout, ce que vous voulez, c'est votre "national insurance number". De toute façon, personne ne vérifiera", m'a-t-il expliqué. Je me suis imaginée aux allocations familiales en France, demandant un numéro d'allocataire. Et là, c'est sûr, on m'aurait gardé le temps nécessaire plutôt que de me faire mentir.
"C'est une histoire typiquement britannique, m'assure Patrick Dunleavy, professeur à la London School of Economics, spécialiste du service public. La personne qui vous a reçue doit traiter un certain nombre de dossiers par jour." Et son salaire dépend de sa performance. Le service public britannique s'est mis aux méthodes du privé avec zèle. Il se donne des objectifs aussi bien pour remplir ses lits d'hôpital que pour faire arriver ses trains à l'heure. Et distribue des bonus aux bons élèves.
"Après tout, ce que vous vouliez, c'était votre "national insurance number". Il a satisfait tout le monde, vous et son patron", conclut en riant M. Dunleavy. En l'occurrence, personne ne pâtira de cette fausse déclaration, si ce n'est les statistiques nationales, qui vont me comptabiliser comme chômeuse. Mais quand le secrétaire d'Etat à l'immigration, Phil Woolas, annonce, la semaine dernière, que ses services ont perdu 17 000 dossiers de réfugiés demandant l'asile - ils se sont évaporés entre deux bureaux -, on imagine le désarroi des individus concernés, dont certains attendent depuis plus de dix ans une décision.
Il ne se passe pas une semaine sans que la presse relate un bug de l'administration, aux conséquences plus ou moins dévastatrices. Pourtant, sous l'impulsion de Tony Blair, le secteur public s'est étoffé : il emploie aujourd'hui 5,8 millions de personnes, soit 20 % des salariés du pays, et les salaires y sont supérieurs à ceux du privé. Mais la City a longtemps aspiré les talents britanniques. Et les réformes que les gouvernements successifs ont menées depuis vingt ans, si elles ont amélioré l'efficacité des services publics, ont parfois été contre-productives.
Ainsi la fragmentation des tâches, qui devait permettre de lutter contre une bureaucratie excessive, s'est retournée contre ses concepteurs. L'affaire Baby P. - cet enfant mort début novembre sous les coups de ses parents - est de ce point de vue fort instructive. Soixante personnes de différents services publics (santé, police, école, assistance sociale...) avaient eu affaire à la famille sans qu'à aucun moment ces gens ne se parlent.
Fin novembre 2008, l'Ofsted (Office for Standards in Education, Children's Services and Skills), responsable des services d'inspection, dévoile dans un rapport accablant que quatre enfants meurent chaque semaine en Angleterre, comme Baby P., de violences parentales et de négligences des services sociaux. Quelques jours plus tard, le ministère de l'éducation et des familles, qui n'a pas supervisé le travail, corrige : le bon chiffre n'était pas 4 mais 1...
En France, pointe M. Dunleavy, "vous faites encore les choses à l'ancienne. Vous vérifiez quatre fois une information avant de la publier". Indéniablement, jamais Bercy n'aurait mis sur son site Web la mauvaise version de son projet de budget, comme l'a fait le Trésor fin novembre. Version qui a permis au pays d'apprendre que le gouvernement avait envisagé d'augmenter la TVA en 2011, après les prochaines élections.
Sir Digby Jones, ancien secrétaire d'Etat au commerce qui a démissionné en octobre, juge que Whitehall pourrait fonctionner avec "moitié moins de fonctionnaires". L'homme est connu pour ses sorties intempestives. Mais il est vrai que le secteur public britannique multiplie les ratés. Pour autant, quand le privé s'en mêle - ce qui se fait de plus en plus -, le résultat n'est pas concluant. Ainsi, juste avant Noël, 100 000 fonctionnaires ont appris qu'ils avaient reçu pendant trente ans une retraite trop élevée. Et qu'ils verraient son montant diminuer pour compenser le trop-perçu de 140 millions de livres. Tout ça parce que l'entreprise Xafinity, qui s'occupe d'une partie des retraites des fonctionnaires du National Health Service et de l'armée, s'est trompée dans ses calculs pendant trois décennies !
Là aussi, juge M. Dunleavy, "c'est typique. On demande à ces sous-traitants d'être le moins chers possible. Et en même temps, l'administration perd son expertise sur ces sujets qui sont externalisés". Et s'avère incapable de contrôler. C'est comme ça que, en novembre 2007, le fisc a laissé partir dans la nature les données fiscales de 25 millions de contribuables. La Cour des comptes lui avait juste demandé 20 000 dossiers anonymes. Mais personne au Trésor n'était capable de transférer ces données. Il a du coup été fait appel à un prestataire extérieur qui, pour réduire les coûts, est allé au plus simple : copier sur un CD tous les dossiers sans prendre la peine d'enlever les données confidentielles, et l'envoyer par la poste. Le courrier n'était pas recommandé - trop cher sans doute - et s'est perdu...
Courriel : malingre@lemonde.fr.
No comments:
Post a Comment