La pierre trop lourde pour les Français
Les signes d’un arrêt de la hausse de l’immobilier se multiplient. Une accalmie attendue par des acheteurs à bout de souffle, alors que les taux remontent.
Par TONINO SERAFINI; samedi 8 septembre 2007
Triste anniversaire pour les ménages écartés de l’accession à la propriété par des tarifs de la pierre devenus inaccessibles, spécialement dans les grande agglomérations où les prix sont au zénith. Cet automne, le marché de l’immobilier va fêter une décennie d’augmentation vertigineuse et ininterrompue de prix. «Entre 1997 et 2007, les prix des maisons et des appartements ont progressé de 142%», constate platement Nicolas Thouvenin responsable des études économiques à l’Observatoire des marchés de la Fnaim (Fédération nationale de l’immobilier). En Ile-de-France, région la plus chère de l’Hexagone, la hausse atteint 156% selon la Chambre des notaires. Des chiffres qui détonent dans un environnement économique marqué par une hausse modérée des prix à la consommation et une évolution modeste du pouvoir d’achat des ménages.
Un été de turbulences
Mais depuis quelques semaines, les nuages s’amoncellent. La crise des «subprime» aux Etats-Unis liée aux crédits immobiliers a constitué une première secousse. Puis la publication d’une succession d’indices témoigne d’un marché immobilier franchement plus hésitant: prix orientés à la baisse en juillet (-1,5% selon la Fnaim), affaissement des ventes dans le neuf au deuxième trimestre, gonflement des stocks chez les promoteurs, hausse des taux d’intérêt… «On s’achemine vers une longue période de stagnation de l’immobilier qui se traduira à terme par une baisse des prix en euros constants. L’ajustement se fera au long cours. Mais c’est indispensable car l’immobilier est surévalué en France», analyse Jean-Pierre Petit, directeur de la recherche économique et stratégique chez Exane-BNP-Paribas. Il exclut a priori un krach, «sauf gros choc au niveau des taux d’intérêts».
Mais d’autres économistes tablent sur une issue plus brutale. Marc Touati juge «inévitable une baisse des prix de 10 à 15%» dans les deux ans. «Mais une fois qu’elle sera enclenchée, on ne sait pas où elle s’arrêtera. En tout état de cause, l’immobilier doit recoller à la réalité économique. En valeur, le PIB n’a progressé que de 30% en dix ans. L’immobilier quatre fois plus», s’exclame-t-il.
Le krach immobilier du début des années 1990 s’était traduit par une chute de 40% des prix de la pierre en cinq ans (voir le graphique ci-contre). Quels que soient les scénarios envisagés, chacun considère que le marché est entré dans une période charnière qui augure un autre cycle.
L’impact psychologique de la crise américaine
Le marché de l’immobilier français n’est pas directement concerné par la question des subprime qui touche les Etats-Unis de plein fouet (lire aussi pazge 19). Dans l’Hexagone, les banques ne financent pas des acquéreurs aux ressources incertaines. Mais l’immobilier français n’est pas à l’abri de dommages collatéraux. « La crise américaine risque d’avoir un impact psychologique sur les acheteurs français», juge Jean-Pierre Petit. Il pointe les craintes que peut inspirer la vague «d’au moins un million de ménages américains qui vont se faire saisir leur maison». Par ailleurs, la baisse des prix de l’immobilier outre-Atlantique peut inciter les acquéreurs français à la prudence. « Les gens peuvent se dire: si ça baisse aux Etats-Unis, pourquoi ça ne baisserait pas aussi en France, d’autant que les prix sont très élevés?» Pour Geoffroy Bragadir, fondateur du site de courtage en ligne Empruntis.com, ce réflexe de prudence peut notamment toucher les «investisseurs qui achètent des logements pour les louer. Une clientèle qui représente tout de même 6 à 7% des ventes dans le neuf».
La crise des subprime fait aussi planer le risque d’une restriction de l’offre de crédit par les banques qui vont redoubler de prudence. «Elles vont introduire une prime de risque supplémentaire et donc se montrer plus sélectives dans l’octroi des prêts. Ce qui revient à un rationnement du crédit», pointe Marc Touati. Moins de crédits, c’est moins d’achats, et donc un marché immobilier atone. Mais chez les courtiers, on semble nuancer ce propos. «Les banques ont effectivement durci leurs conditions. Mais cela date de 2006. Avant on finançait jusqu’à 100%, voire 110% du montant d’une acquisition», confesse l’un d’eux. «Aujourd’hui, pour qu’un dossier passe, l’acheteur doit avoir un apport de 10%.» Une chose est certaine. «Cet été, les banques ont relevé leurs taux», souligne Christophe Crémer, PDG de Meilleurstaux.com. Pour un prêt sur vingt ans, les taux sont à 4,70% hors assurance contre 3,25% en 2005.
Des acheteurs au bord de l’épuisement
Ce qui lamine la solvabilité des acquéreurs déjà sérieusement mise à mal par la flambée des prix. «Il faut parfois une vie de salariat pour acheter un logement», reconnaît en courtier en immobilier. La hausse des prix a entraîné un allongement généralisé de la durée des prêts. On emprunte sur vingt, vingt-cinq ou trente ans, voire plus. Mais ça ne suffit pas toujours pour boucler un budget d’acquisition. Les acheteurs sont au taquet.
Des stocks de logements neufs au plus haut
Du coup, les ventes ont tendance à fléchir. Au premier trimestre 2007, le nombre de transactions a reculé de 3,3% en Ile-de-France, selon la Chambre des notaires. Et les résultats du deuxième trimestre, qui seront publiés début octobre, ne devraient pas être meilleurs. Par ailleurs, des statistiques publiées fin août par le ministère de l’Ecologie — qui chapeaute la direction de l’Equipement — font état d’une forte hausse des stocks de logements neufs en France. Au 30 juin 2007, ils atteignaient 88 600 unités contre 35 000 en 2004, lorsque le marché était euphorique. Il faut remonter à 1993 pour trouver des stocks aussi importants. Dans l’ancien, des courtiers en prêts immobiliers font état d’une baisse des transactions à Aix-en-Provence ou Marseille depuis plusieurs mois. Mais de nombreuses autres villes seraient touchées, comme en Seine-Saint-Denis, voire à Paris — où le mètre carré vaut désormais, en moyenne, 5867 euros.
Aujourd’hui, les accédants à la propriété peuvent légitimement craindre de surpayer leur logement et de boire un bouillon financier au cas où ils seraient contraints de revendre dans quelques années. L’apparition de nouveaux prêts (lire page suivante) pour tenter de solvabiliser coûte que coûte les acheteurs témoigne d’un marché à bout de souffle qui cherche des subterfuges pour retarder un retournement qui semble de plus en plus proche.
http://www.liberation.fr/actualite/societe/277058.FR.php
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